Evincé injustement de la dernière sélection du Goncourt 2014, Eric Reinhardt est pourtant l'écrivain qui a égayé la rentrée littéraire avec une plume enlevée, un style unique et surtout, une histoire captivante et dans l'air du temps.
L'amour et les forêts est clairement un livre de femmes, écrit par un homme, mais qui s'adresse non seulement à une cible féminine mais aussi à tout à chacun, du moment qu'on apprécie les bons mots. Et qu'est-ce qu'un bon mot ? C'est justement, celui qui touche, qui invite à réfléchir sur soi, qui donne à voir d'autres visages et d'autres nombrils que le nôtre. Un bon mot est aussi celui qui vous invite à voyager à travers plusieurs styles littéraires, plusieurs histoires et à partager, le temps de quelques pages, le destin d'un personnage à la fois proche de nous et complètement antagoniste.
Dans son dernier opus, Eric Reinhardt se met en scène à travers la rencontre fictive qu'il aurait vécue avec l'une de ses ferventes lectrices. Bénédicte Ombredanne est une professeur de français, habitant dans la région de Metz. Mère de deux enfants, elle mène une vie tranquille en apparence aux côtés de son époux Jean-François.
A travers cette rencontre, l'écrivain nous dévoile la descente aux enfers de cette femme qui finalement s'interroge sur sa propre féminité. Un époux manipulateur, des enfants inconsciemment manipulés, une existence vouée à l'absence et où l'identité de la femme se consume, il n'en faut pas moins pour Bénédicte pour sombrer.
La plume et les mots d'Eric Reinhardt se font témoins des maux de cette femme en plein désarroi. On assiste à l'histoire d'une manipulation orchestrée par un mari violent, sournois et pervers. On croit avec Bénédicte à la résurrection lorsque celle-ci finit par transgresser les habitudes pour se laisser aller dans les bras d'un autre grâce au pouvoir libératoire d'internet et de Meetic. On croit encore à sa sortie de crise et à son envolée quand elle fait un séjour en hôpital psychiatrique et se découvre, à l'instar d'Eric, une passion pour les mots et les lettres salvateurs.
Bouleversant, inquiétant, dérangeant, l'Amour et les forêts fait passer le lecteur par tous les états d'âme. Mais surtout, lorsqu'on finit la dernière page du livre, ce dernier continue de nous hanter après coup. Et c'est là que vient la vraie question qu'a voulu en définitive nous poser Eric Reinhardt. Comment vivre sa vie sans finalement trahir nos rêves ? Bénédicte ne serait-elle pas alors le reflet de chacun d'entre nous ? Tous, quel que soit notre condition sociale, notre sexe, notre éducation, notre vécu, avons ou aurons à un moment donné de notre existence le besoin, sinon la nécessité, de nous poser cette question. Certains décident d'aller voir ailleurs pour redonner sens à leur couple, d'autres bazardent leur quotidien pour aller monter une chambre d'hôtes en Thaïlande, d'autres enfin, choisissent tout simplement d'oublier leurs rêves, de mettre entre parenthèses leurs envies ou leurs ambitions et de faire semblant d'être heureux.
Dans le choix de son titre même, Eric Reinhardt évoque quelque part toutes les vies cachées qui peuplent notre existence. Les forêts sont le lieu poétique et symbolique par excellence où on aime se cacher, où la peur du noir se confond avec la magie des trésors de la nature. Quant à Bénédicte Ombredanne, son patronyme est également un clin d'oeil à cette femme avilie, qui ne vit que dans l'ombre de son mari castrateur.
Bref, l'Amour et les forêts est clairement un roman écrit tout en sensibilité par un écrivain de son temps (et qui a reçu le Prix Renaudot des lycéens) qui connaît parfaitement les femmes mais également la condition humaine. Vivement votre prochain opus Monsieur Reinhardt. Vous me donnez non seulement envie de lire mais aussi envie d'écrire.