Deux ans après le succès de Mommy, le réalisateur québécois Xavier Dolan nous revient avec Juste la fin du monde. Et comme comme déjà en 2014, il suscite une réception diverse de la part du public ou de la critique. Mais à l'arrivée, il résulte que celles et ceux qui avaient pu percevoir sa façon de filmer et de capter les émotions sont ici encore celles et ceux qui apprécieront le film. Alors oui, on peut reprocher à Xavier Dolan de n'avoir pas fait preuve d'imagination et de créativité en transposant au cinéma la pièce de Jean-Luc Lagarce, auteur de théâtre français mort du sida en 1995. En clair, le réalisateur se serait juste arrêté à une mise en scène théâtrale en oubliant les codes du cinéma...
Sauf que...à l'issue des 1h37 que dure la projection, la facilité ne semble pas avoir été le moteur de Xavier Dolan.
Rappelons le sujet du film et donc de la pièce : un jeune homme rentre chez lui après 12 ans d'absence. Des retrouvailles familiales où le mot même de retrouvailles semble un non sens tout au long du film. Alors que l'ensemble des protagonistes de ce huit-clos se demandent pourquoi le fils "prodige" est revenu sans prévenir, le spectateur lui connaît la raison. C'est ce décalage qui vient aussi créer une des tensions présentes dans le film. Le spectateur est dans l'attente de la révélation. Chaque scène forte laisse supposer que l'aveu va tout faire exploser. Mais la moralité qui saute aux yeux n'est-elle pas la suivante : tout a déjà explosé au sein de cette famille et depuis longtemps, si bien qu'un aveu, aussi dur soit-il, pourrait-il emmener plus au fond du fond les personnages ?
Comme la pièce, le film Juste la fin du monde est en filigrane un écho à l'histoire personnelle de Xavier Dolan. Comme dans J'ai tué ma mère ou Mommy, le lien mère-fils est très présent dans le film. Le réalisateur québécois a d'ailleurs récemment confié avoir fait ce film pour venger sa mère et toutes les mères. A l'instar d'un Pedro Almodovar, la figure maternelle est sublimée dans ce qu'elle a de plus simple, de plus naturel et de plus beau. Dans Juste la fin du monde, c'est à Nathalie Baye qu'échoit le rôle de cette mère de famille. Une mère qui aime son fils malgré son absence prolongée, qui ne le comprend pas mais l'aime. Transformée, sur-maquillée, exubérante, Nathalie Baye incarne ces mères des quartiers populaires qu'avait l'habitude de croiser Xavier Dolan dans son enfance. Des femmes qui cherchaient - parfois à l'extrême - à se faire remarquer, à avoir une place. Fantastique prestation en tout cas de Nathalie Baye qui rappelons-le avait été également choisie pour incarner la mère d'un transgenre.
Dans cette famille où chaque personnage tente de sortir de lui-même, de cracher sa colère ou ses émotions, il semble que le dialogue soit clairement impossible. D'où une des scènes du début qui pose l'ambiance : un environnement cacophonique, pour dérouter le spectateur mais en même temps vient poser le thème (une famille qui ne s'écoute plus). Effectivement, ici, on ne parle pas, on crie, on hurle, on se renvoie des piques douloureuses, on pleure, on rit trop fort mais on ne se tait que rarement car le silence incarne la mort, l'absence, l'introspection qui fait mal. Gaspard Ulliel en fils prodige est tout simplement parfait. Son charisme, son regard, ses gestes suffisent à dépeindre l'émotion qui l'envahit et ce qu'a choisi de ne pas nous dire le film. Sa soeur, incarnée à l'écran par Léa Seydoux, est elle aussi criante de vérité et de sensibilité. Maladroite, mal dans sa peau, elle peine à faire connaissance avec son frère. Et dans son cheminement complexe et quelque peu tragique, on sent la faille qui l'empêche d'elle-même. Il faut dire qu'elle n'est pas aidée par ce frère, incarné par Vincent Cassel, dont la rage pousse à la violence verbale comme seul moyen de défense ou d'expression. Quant à Marion Cotillard, elle est la belle-soeur timidie, bafouillante, et qui dans cette ambiance cacophonique, est la seule à pouvoir s'intéresser à Louis, alias Gaspard Ulliel, à ce qu'il est et représente.
Bref, vous l'aurez compris, Juste la fin du monde est un mélodrame familial qui interroge la notion même de lien familial, mère-enfant ou soeur-frère. La figure paternelle, comme toujours avec Dolan, reste absente comme une mise en évidence de la nécessité d'un père pour se construire et grandir.
Juste la fin du monde, Grand Prix et Prix du Jury Oecuménique au dernier Festival de Cannes, est un film bouleversant, dans un autre genre que Mommy. Il nous réconcilie avec ce cinéma d'auteur fait d'émotion, d'hypersensibilité, de traces personnelles. Il nous rappelle aussi combien un film est un tout artistique, fait d'une bande son choisie en osmose avec les scènes et les personnages, fait de prises de vue magnifique où la lumière de fin de journée, où le flou et la pause se côtoient pour donner sens à l'esthétique, où enfin, le fait de filmer en gros plan permet d'entrer au coeur des personnages. Ajoutons un début et une fin soigneusement léchés : le début, dans un avion, où un enfant cache les yeux de Gaspard Ulliel, scène symbolique et la fin, presque un tableau onirique, annonciateur d'une mort, d'une fin possible...
Alors, oui, la magie Dolan, on peut le dire, a encore opéré. Génie du cinéma et souvent génie incompris, Xavier Dolan n'a pas fini de réaliser des films et surtout, de se réaliser à travers ses longs métrages.